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Damien, le Roc !


Damien Roux


Nous avons interviewé Damien à J+ 3 du confinement.

Quand l’appel visio a démarré, c’est avec un grand sourire qu’il est apparu sur l’écran. Sachant que ses salons étaient fermés depuis 3 jours, on ne s’y attendait pas…


Envisager le pire scénario


« Je réfléchis toujours au scénario du pire, j’appelle ça le “pessimisme sain ». J’ai observé ce qui se passait en Chine, en Italie, et je me suis dit que ça allait nous arriver… ce n’était pas le nuage de Tchernobyl. Dès le 1er mars, on avait senti un début de décroissance dans nos salons, une baisse qui s’est rapidement portée à -25%. A ce niveau-là, ce n’était plus un signal faible ! On a eu des désistements, les clientes expliquaient qu’elles annulaient leur rendez-vous à cause de la conjoncture actuelle, qu’elles avaient peur du virus. »


Il est du côté de ceux qui n’ont pas eu le choix : on ferme. Impossible de continuer à exercer en période d’épidémie quand on est coiffeur. Damien Roux, le fondateur de Didact Hair Building à Paris, a quitté provisoirement ses deux salons de coiffure de Saint-Sulpice et Saint-Eustache. Il nous présente ses mesures de crise.


« Je me suis mis à la place d’Emmanuel Macron »

Damien avait anticipé le confinement, en transposant ses réflexes d’entrepreneur sur… le président de la République. « Je me suis mis à la place d’Emmanuel Macron. Il a eu beaucoup de mal à communiquer durant les premières années de son mandat, il s’est mis une bonne partie de la population à dos et il ne pouvait pas se permettre un seul loupé sur cette crise. Je me suis dit qu’il allait annoncer ses mesures de manière progressive, qu’il ne pouvait pas y aller frontalement, mais que cela ne prendrait que quelques jours pour en venir au confinement. Il fallait qu’il regagne de la confiance sans affoler la population. »


Alors, quelques jours avant les annonces officielles, Damien a prévenu ses équipes que les salons allaient fermer. Didact Hair Building a été classé parmi les dix meilleurs salons de coiffure du monde. Installée dans des lieux historiques, déployée sur plusieurs étages, la marque s’appuie sur des équipes de passionnés, ultra motivés et formés en interne. Damien a l’esprit de compétition et engage ses troupes dans de nombreux concours, pour préserver « une remise en question permanente. L’idée, c’est de se bouger, de rester disruptif par rapport au marché. Nous lançons chaque année une innovation de service et une innovation de produit. Et nous sommes descendus à zéro empreinte carbone. » Meilleur entrepreneur de l’année, meilleure entreprise d’Île-de-France… Les prix s’accumulent et viennent récompenser les 30 salariés du groupe, au gré de nouveaux concepts « maison », comme Le Comptoir des franges, Le Bar à blond ou encore Le comptoir du soin.


« Mettre sa frustration de côté »

Trente salariés, c’est beaucoup, surtout dans un secteur où la moyenne est à 1,7. Damien a la ferme intention de les préserver de l’angoisse, dans la mesure du possible. Il communique beaucoup avec eux, via WhatsApp notamment, il les aide aussi à titre privé à discuter avec leur banquier ou leur propriétaire. « Chez moi, la transmission est une valeur forte, autant que l’innovation. Je forme mes collaborateurs, je les épaule au quotidien, par exemple lorsqu’il faut les déposer chez eux à minuit en temps de grève, et durant cette crise je tiens absolument à montrer l’exemple. Le premier salon a neuf ans, le second un an et demi, il est plus fragile. Mais mon moral est très bon. Avec beaucoup de frustration bien sûr, puisque le risque actuel est dû à un évènement extérieur non contrôlable. Ce n’est pas le résultat d’une mauvaise décision que j’aurais prise. Mais la frustration est le reflet de l’ego : il faut réussir à mettre ça de côté pour très vite prendre les décisions nécessaires. »


« Parler vite aux bons interlocuteurs »

Fidèle à ses principes de « pessimisme sain », Damien a imaginé le scénario du pire : la banqueroute, la saisie professionnelle et personnelle. « Au lieu de réagir en me victimisant, j’ai préféré me taire et m’informer très vite sur les démarches possibles. J’ai réuni tous mes papiers le dimanche avant le confinement et j’ai consulté les interlocuteurs adéquats le lundi : expert-comptable, juriste, RH pour le chômage partiel, avocat en droit des affaires, banquier… »


La trésorerie, le nerf de la guerre


Une fermeture d’un mois a été décidée de prime abord. La question-clef, pour Damien comme pour tous ses pairs, est celle de la trésorerie. « Nous avons un mois d’avance. Mais la crise peut durer longtemps. Comment on fait pour garder le maximum d’argent sur les comptes, pour réduire les dépenses, pour faire entrer de l’argent dont on n’aurait pas eu besoin en temps normal ? »

Très concrètement, Damien est allé demander un prêt bancaire. Obtenu sans difficultés. L’entrepreneur, déjà créateur de cinq sociétés, est un « bon client », dans le sens où il a toujours fait la preuve de sa capacité d’anticipation et de rebond. « Je retire les bénéfices de 15 ans de sérieux. J’ai toujours fait mes business plan volontairement en-dessous du chiffre que je savais pouvoir réaliser. Je préfère avoir trop de trésorerie que pas assez lorsque septembre va arriver avec les reports de charges. C’est maintenant qu’il faut aller demander de l’argent à votre banquier, pas dans six mois lorsque votre entreprise ira mal, conseille-t-il.


Préserver les équipes et rester en lien avec la clientèle


Damien l’a annoncé à ses collaborateurs : la période qui s’ouvre sera très difficile, mais il « tiendra la barre ». « Ils connaissent mon état d’esprit, ils savent qu’ils peuvent compter sur moi. Je les tiens informés au jour le jour, comme je leur ai promis. Ils sont payés, ils savent combien et quand… Ils ont des commissions que je me suis engagé à leur verser alors que ce n’est pas obligatoire. Ma priorité, c’est eux. Ensuite, c’est de conserver le salon hors d’eau. Mais ça, c’est à moi de gérer, je ne leur en parle pas, je ne les affole pas. »


Troisième priorité : communiquer avec la clientèle. Damien vient de lancer une série d’initiatives en ce sens, en s’appuyant sur les outils numériques, bien sûr.


Soutenir ses pairs


En parallèle, il a appelé tous les entrepreneurs de sa connaissance, pour leur apporter son point de vue et son soutien. « En fonction de la taille de votre entreprise, vous n’avez pas forcément le même niveau de conseil de la part de votre expert-comptable, regrette-t-il. Je partage. Et je les ai trouvés tous bienveillants : ils s’intéressent plus à leurs équipes qu’à leur propre personne. »


Ses trois principes : pas de décision à la hâte, elles sont très dangereuses. Pas de décisions en demi-teintes non plus : mieux vaut prendre des décisions radicales. « Si on se plante, mieux vaut que ce soit pour une décision forte que pour une réaction molle. » Et enfin, on l’a compris, embarqués dans une telle crise, il est important d’augmenter sa trésorerie, dès que possible et le plus possible. « Les prêts de trésorerie sont garantis par la BPI, il faut y aller, quitte à les rembourser en fin d’année si on ne s’en est pas servi. »


Portrait réalisé en Mars 2020 et rédigé avec ♡ par Florence Boulenger

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